Dans les nuits du samedi 8 au dimanche 9 et du dimanche 9 au lundi 10 août, long scénar d’environ 24 heures (joué en deux séances) de ma campagne de
Goules. La première partie a été jouée avec quatre joueurs (ceux de Dominic, Doug, Gazmir et Mr. T.), le cinquième (Dwayne) ne pouvant pas être disponible avant le dimanche. Ce n’était pas très grave, il n’était pas trèc ompliqué d’intégrer un PJ entre les deux séances.
Dans chacune des séances, il y avait un dispositif de narration un peu particulier :
- Dans la première partie, les joueurs alternaient entre les aventures de leurs PJ habituels et celle d’un groupe d’espions tchèques du
SOE dans le protectorat de Bohème-Moravie (Tchécoslovaquie occupée) en 1942 ;
- Dans la seconde partie, le scénario était dans le désordre, les joueurs jouant leur perso selon un déroulement non-chronologique en fonction des souvenirs confus d’un des PJ auxquels ce dernier parvenait à se raccrocher pendant qu’une entité essayait de pénétrer son esprit.
Pour bien comprendre l’histoire, je pense qu’il est plus simple de la présenter de façon chronologique en résumant ce qui s’est passé avant que les PJ n’entrent en scène.
Dans la seconde moitié des années 30, un groupe d’occultistes tchécoslovaques peu scrupuleux localise, à partir de documents anciens, un artefact : l’œil de
Tchernobog, l’ancienne divinité slave de la nuit, dans une fosse désaffectée et obstruée depuis le XVIIIème siècle d’une mine de Lidice, en Tchécoslovaquie. Ils n’auront cependant jamais le temps de la récupérer, le démantèlement du pays en 1938-1939 par l’Allemagne nazie les empêchant de mener des recherches eux-mêmes et de récupérer l’objet. Ils se rapprochent des autorités nazies pour plaider leur cause mais s’ils parviennent doucement à se rapprocher des cercles ésotériques entourant Himmler en Allemagne, ils ne parviennent pas à séduire
Reinhard Heydrich, Reichsprotektor de Bohème-Moravie, nettement moins sensible qu’Himmler aux questions occultes et qui repousse constamment les demandes du cénacle.
Le groupe croit voir sa chance tourner fin mai 1942 quand Heydrich est grièvement blessé par des résistants tchèques formés par les Britanniques dans le cadre de
l’opération Anthropoid. Les occultistes assurent pouvoir sauver Heydrich grâce aux pouvoirs de l’artefact et obtiennent des moyens pour le retrouver très rapidement en échange de soins magiques permettant de sauver Heydrich. Le chef du cénacle d’occultiste devient le « médecin personnel » d’Heydrich et commence à le soigner par des biais magiques, à base de potions réalisés avec l’aide de l’artefact et de sacrifices de prisonniers dans les grottes de Lidice.
Les équipes en charge de l’exécution d’Heydrich sont traquées par les nazis et éliminées avant de pouvoir être interrogées, ce qui préserve la couverture d’une équipe de quatre espions tchèques du SOE (deux hommes et deux femmes) bien implantés auprès des responsables nazis. Ceux-ci n’ayant pas été démasqués, Londres leur demande d’en apprendre plus sur l’état de santé réel d’Heydrich et de s’intéresser plus particulièrement à cet étrange médecin personnel que personne ne connait. Ils vont découvrir l’existence de l’artefact de Lidice et le dérober en détruisant ainsi leur couverture. Le jour même, Heydrich meurt et, peu de temps après, les nazis se vengent affreusement sur la population civile de Lidice.
Les quatre espions, tous engagés par idéalisme, et craignant que leurs supérieurs hiérarchiques commettent les mêmes sacrifices de prisonniers que les nazis pour contrôler l’artefact, décident de masquer la dimension surnaturelle de leur découverte et de cacher l’objet dans un lieu connu d’eux-seuls avant de partir pour le Royaume-Uni.
Sur les quatre espions tchèques, l’une des deux femmes meurt dans un bombardement mais les trois autres survivent à la guerre. Deux d’entre eux, Josef et Eva, (en couple et sincèrement socialistes bien que non-staliniens) décident de rentrer en Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale et vont récupérer l’artefact tandis que le dernier, le chef du groupe, Jan Kopecky, reste au Royaume-Uni où il obtient la nationalité britannique, est anobli et conserve des fonctions au MI-6. En 1948, après le
coup de Prague, le couple quitte la Tchécoslovaquie pour la Yougoslavie (en froid avec l’URSS), en emmenant l’artefact, avec l’aide de Kopecky qui leur fournit un faux nom, de faux papiers et de l’argent. Ils finissent par atterrir dans une petite ferme collective des environs de Sarajevo mais, malheureusement pour eux, commencent à tomber de façon insidieuse sous la coupe de l’artefact.
En 1968, Kopecky rencontre Josef en Suisse pour s’assurer que tout va bien avec l’artefact. Josef le rassure mais, instinctivement, Kopecky n’est pas pleinement convaincu. Partagé entre son souhait de garder le secret et sa crainte que, par méconnaissance du sujet, des autorités ne fasse un jour n’importe quoi avec lui, il décide donc de rédiger un mémoire contenant la totalité des informations dont il dispose sur l’artefact, la mission de 1942 et ses deux gardiens, Josef et Eva, et de l’enfermer dans un coffre d’une banque suisse. Il donne quelques vagues informations à ce sujet à son fils, lui faisant promettre de ne consulter ou de ne transmettre le document qu’en cas d’absolue nécessité.
Toujours en 1968, les autorités yougoslaves s’intéressent de plus en plus à Josef et Eva (qui a commencé à fusionner avec l’artefact, ce qui lui donne dans un premier temps l’apparence d’une femme enceinte), ces derniers ayant, sous l’influence de l’œil de Tchernobog, transformé la ferme collective en une forme de secte dont ils sont les prêtres. Pour échapper aux autorités, ils quittent clandestinement la Yougoslavie pour l’Australie, pays qui compte une importante communauté yougoslave et qui accorde sans trop de difficultés l’asile politique aux ressortissants de ce pays. Ils s’installent dans une petite ville minière en perte de vitesse et qui ne tardera pas à devenir une ville fantôme à partir de 1982. Le couple, qui n’a désormais plus grand-chose d’humain (Josef est devenu une terrifiante créature fantomatique et Eva est une forme de larve de Tchernobog en formation) séduit des adorateurs en jouant sur les capacités curatives de l’artefact qui avaient été utilisées sur Heydrich et qui fonctionnent effectivement. Grâce à ce noyau dur d’humains fanatisés, ils parviennent à attirer des personnes vers la ville fantôme que l’ex-Eva ingère pour se rapprocher de la forme finale de Tchernobog. Remarquant que les créatures surnaturelles la nourrissaient mieux, Josef et Eva commencent à attirer des goules en faisant diffuser dans certains cercles occultes de faux documents anciens qui attesteraient que grâce à lui, certaines goules sont parvenues à échapper au lien du sang de leurs maîtres vampires. Les différents documents sont intentionnellement abimés ou cryptiques afin qu’il soit possible à la fois d’appâter des candidats mais de réguler leur arrivée en révélant au compte-goutte les éléments « manquants » par différents biais.
Récemment, un groupe de goules camaristes a appris l’existence de cet artefact magique soi-disant capable de les libérer, son lien indirect avec l’opération Anthropoïd de 1942 et ont commencé à le rechercher en marge de leurs activités pour leurs maîtres. Ce groupe de goules avait été en charge d’une mission de la Camarilla pour envoyer hommes et matériel en Californie (dirigée par une organisation dissidente de la Camarilla à laquelle appartiennent les domitors des PJ) depuis Dubaï (opération mis en échec par les PJ dans
cette partie là). Depuis l’échec de cette mission, le groupe de goules camaristes est chargé de liquider les entreprises que la Camarilla avait acquises pour mener cette opération, si possible en réalisant un bénéfice. Il s’agit d’une mise au placard mais elle leur laisse suffisamment de temps (et de ressources) pour travailler à la recherche de l’œil de Tchernobog.
Ne souhaitant pas s’exposer trop directement, ils engagent d’abord une mercenaire sud-africaine pour faire parler puis abattre le descendant de Jan Kopecky. Celui-ci lui révèle qu’il ne sait rien de l’objet mais que son père a détaillé ce qu’il savait de sa localisation dans un mémoire gardé dans un coffre d’une banque de Genève. Les goules camaristes recrutent alors à grand frais une équipe de professionnels pour cambrioler la banque et leur ramener le contenu du coffre.
Toutefois, les goules camaristes tombent sur un os. En effet, afin de rester le plus discret possible, elles équipent leur bande de braqueurs de matériel n’ayant jamais servi et comme elles se trouvent à Dubaï, elles se servent dans du matériel militaire et informatique que l’émirat met à disposition de rebelles syriens « modérés » formés sur son territoire et plus précisément dans
l’armement serbe que l’émirat achète en grande quantité. Or, cet armement intéresse tout particulièrement un contact régulier des PJ, Zivko Djordjevic (qui, entre autres, a eu un rôle central dans
l’opération qui leur a permis de devenir millionnaires)
Ce PNJ cumule à la fois les activités dans le grand banditisme international et les activités politiques puisque « ancien » des services secrets yougoslaves, il conserve l’espoir( avec d’autres officiers serbes… à la moyenne d’âge de plus en plus âgée) de refonder une Yougoslavie autour d’une Serbie forte. Si cette faction est très favorable au fait que la Serbie puisse conserver une industrie de l’armement autonome grâce aux achats émiratis, ils ne pensent pas pouvoir un jour réussir leur grand projet sans le soutien des Russes qui, eux, sont du côté du gouvernement de Bachar El-Assad en Syrie et voient d’un mauvais œil ces livraisons d’armes qui, de surcroit, pourraient terminer dans le Caucase par filière jihadistes interposées. Zivko et ses alliés décident donc de jouer sur les deux tableaux en ne faisant rien pour interrompre les livraisons d’armes mais en plaçant des traceurs discrets dans certaines armes livrées afin d’identifier leurs déplacements, ceux à qui elles sont livrées et – si besoin – de livrer l’information aux Russes pour s’attirer leurs bonnes grâces.
Du fait des prélèvements des goules camaristes dans cet arsenal, Zivko constate que certaines armes partent vers l’Europe et servent selon toutes vraisemblances à l’assassinat d’un citoyen britannique (le fils de Jan Kopecky) et à l’évasion violente d’un légendaire perceur de coffre italien (lors de la constitution de l’équipe pour le cambriolage) avant de converger vers Genève. Il décide d’enquêter lui-même sur place mais est capturé.
Constatant sa disparition, la sœur de Zivko contacte les PJ pour qu’ils le retrouvent, ceux-ci craignant qu’il soit tombé aux mains de services occidentaux et qu’il puisse révéler des informations sur l’opération qui les a collectivement enrichis.
Dans la première séance, les PJ se sont rendus à Genève, ont retrouvé l’équipe de braqueurs grâce aux traceurs contenus dans certaines de leurs armes mais découvrent que Zivko n’est pas avec eux. Comprenant que Zivko est aux mains des commanditaires de l’équipe de cambrioleurs, ils neutralisent l’équipe et décident de réaliser le cambriolage eux-mêmes (en suivant le plan planifié par la première équipe) afin de troquer le contenu du coffre tant désiré contre leur allié serbe. Une fois en possession du contenu du coffre, ils lisent bien évidemment le document qu’il contenait et apprennent l’existence de l’œil de Tchernobog. Ils réalisent un faux des dernières pages du mémoire (laissant penser que Josef et Eva ont quitté la Tchécoslovaquie pour la Roumanie et non pour la Yougoslavie) et échangent leur rapport caviardé contre leur contact, découvrant lors de l’échange que les commanditaires sont des goules camaristes qu’ils ont déjà eu à affronter. Après l’échange et après avoir échappé à leurs adversaires et à la police suisse (avertie par les goules camaristes de la présence d’un criminel serbe sur son sol), ils débriefent Zivko et apprennent qu’il a entendu ses ravisseurs parler d’un « objet pouvant rompre le lien du sang ». Les PJ comprennent alors que les goules camaristes ne travaillent pas pour leur maître mais pour leur compte et, désireux eux-mêmes de retrouver leur liberté, ils se mettent en quête de l’artefact.
Fin de la première partie.
Dans cette première partie, j’ai alterné les moments consacrés à la recherche de Zivko puis au braquage à Genève avec les moments où les PJ jouaient en 1942 les évènements décrits dans le rapport de Jan Kopecky en incarnant des pré-tirés (les quatre espions tchèques).
La seconde partie commence par un PJ en fâcheuse posture qui sent qu’une entité essaye de prendre le contrôle de son esprit. Du fait de cette tentative de manipulation mentale, il est désorienté et ne sait plus où il est ni comment il est arrivé là, je donne alors aux joueurs quelques brèves descriptions d’évènements qu’il va choisir d’explorer afin de retrouver le fil de sa pensée et pourquoi la quête de l’œil de Tchernobog a manifestement dérapé.
Les PJ ont donc joué (dans le désordre) :
- La récupération du cinquième PJ à Paris et la mise au vert de Zivko ;
- Leur départ pour Sarajevo à la recherche de Josef et Eva ;
- La quête de documents sur ce qu’ils sont devenus dans l’ancienne ferme collective yougoslave qu’ils avaient occupé (devenue entre temps
une communauté jihadiste cultivant le pavot) ;
- La recherche du couple à Sydney et la découverte d’un de leur adorateur manipulant des goules locales qui rêvent (elles-aussi) de briser le lien du sang ;
- Le départ pour la ville fantôme au milieu du désert australien et l’exploration des anciennes mines où ils vont comprendre que la fin du lien du sang n’est qu’un leurre mais où le proto-Tchernobog/Eva et son acolyte Josef vont tenter de les absorber avant que les PJ ne s’en sortent en détruisant l’artefact.
Au final, j’ai un sentiment un peu mitigé sur cette double partie et, si je devais me noter moi-même, je me mettrais l’appréciation « pas mal, mais peut mieux faire ».
J’ai beaucoup aimé la première partie et si mes joueurs ont peut-être été un peu longs à se mettre en route, cela n’a pas été préjudiciable très longtemps puisque, constatant qu’ils hésitaient pas mal sur la marche à suivre, j’ai rapidement basculé vers la partie en 1942 avec les pré-tirés (la partie en 1942 a été jouée en trois fois, en alternance avec les scènes contemporaines à Genève).
Ce dispositif en alternance a bien fonctionné. Il me servait principalement à deux choses :
- Rendre bien plus dynamique la découverte des informations contenues dans le coffre puisqu’il était beaucoup plus sympa de jouer les scènes que de lire le texte une fois le coffre ouvert ;
- Créer un lien de sympathie avec Josef et Eva que les PJ devaient retrouver sous forme monstrueuse plus tard.
Le premier objectif a été atteint ; le second, nettement moins – j’y reviendrai.
Je suis moins satisfait de la seconde partie dans le désordre. C’était la troisième fois que j’utilisais ce procédé narratif et j’en avais toujours été très content. Tout c’était bien passé les deux premières fois et peut-être que cela m’avait amené à minimiser la part de chance que j’avais eu à ces deux occasions. En effet, lors de ces deux premiers scénarios non-chronologiques, si les parties de l’intrigue avaient été jouées de façon non-chronologique, leur enchainement (choisi aléatoirement par les joueurs) fonctionnait bien ainsi.
Dans cette partie, cela était moins le cas : certaines scènes importantes jouées et beaucoup plus développées par les PJ que je ne l’avais imaginé « vidaient » en quelque sorte de leur intérêt d’autres phases se déroulant chronologiquement en amont pour les PJ mais jouées ultérieurement par les joueurs, occasionnant des baisses de rythmes regrettables. Ce serait à refaire, je donnerai moins de choix de souvenirs au PJ au départ, certains souvenirs joués « ouvrant » l’accès à d’autres de façon à maintenir le caractère non-chronologique tout en m’assurant de la progression de la tension dans l’intrigue en réservant les scènes les plus marquantes pour la fin.
Autre regret : une relative déception des joueurs pour la scène finale dans la grotte. Ils avaient effectivement nourri une certaine affection pour Josef et Eva et je pensais que cela suffirait à rendre leur transformation monstrueuse plus révoltante et que la présentation de ce qu’ils étaient devenus se suffisait à elle-même. C’était une mauvaise appréciation : j’aurais dû m’assurer qu’une communication entre les PJ et les anciens espions tchèques était possible afin de créer un sentiment de malaise plus important et accroître la dimension pathétique de la situation du couple. En les présentant seulement comme monstrueux, j’ai finalement créé une sorte de distance entre l’image que mes joueurs s’était faite des deux tchèques et ce qu’ils étaient devenus et le jeu sur la fibre sensible n’a pas fonctionné.
Enfin, mes joueurs (ou en tout cas certains d’entre eux) auraient souhaité une autre fin. Ils auraient aimé un canevas moins classique que la lutte dans les grottes sombres contre des abominations mais plutôt que je les pose face à un choix moral : oui, la rupture du lien du sang est possible mais elle exige de commettre des actes abominables. Ca aurait été une bonne idée et c’est sans doute le choix que j’aurais dû faire (l’idée ne m’avait pas traversé l’esprit lors de la rédaction du scénario, sans doute parce que j’ai tendance à être réticent à faire reposer mes climax sur des choix moraux que les joueurs doivent prendre rapidement alors qu’ils ont joué 24 heures sur les 36 dernières heures et qu’il est 7 heures du matin et que j’écarte un peu trop rapidement cette option).
Du fait de ces regrets sur la seconde partie, je conserve un sentiment un peu mitigé sur ce double scénario. Je pense qu’il s’agissait d’une bonne partie mais qu’elle avait les moyens de devenir vraiment mémorable et que je suis passé à côté.
Bref, je suis un peu frustré.

Et en plus, je n'ai strictement rien à vous vendre.