Ca ne fait pas spécialement les gros titres dans la presse française mais on a actuellement une vraie histoire de barbouzerie internationale qui est en œuvre en Argentine. On a beaucoup de morts, beaucoup de versions contradictoires, beaucoup de règlements de compte interne en Argentine et beaucoup d’implications politiques internationales.
En 1994, à Buenos Aires, une bombe installée dans une voiture piégée éclate devant le siège de l’AMIA (l’association mutuelle israélite argentine) faisant 85 morts et 230 blessés.
Le président argentin est alors Carlos Menem, très proche de Washington et Tel-Aviv.
La présidence argentine, Washington et Tel-Aviv accusent rapidement l’Iran et/ou la Syrie de cet attentat qui aurait été sous-traité au Hezbollah libanais. L’attentat n’a jamais été revendiqué et les accusés démentent.
Israël capitalise sur cet attentat pour accuser le Hezbollah d’être une organisation terroriste internationale (et non un mouvement armé n’opérant qu’au Liban et en Syrie) et demander son inscription sur la liste des organisations terroristes internationales (l’UE y rechignera longtemps et n’a accepté que récemment de classer la branche militaire de cette organisation comme une structure terroriste mais pas le parti politique en lui-même).
A la fin des années 90, début des années 2000, l’Argentine traverse une période politique troublée qui voit un éclatement du parti de Carlos Menem entre son aile droite (Menem) et son aile gauche hostile au FMI et désireux d’une plus grande indépendance vis-à-vis de Washington.
En 2003, Nestor Kirchner (aile gauche du mouvement péroniste) gagne les élections et se lance dans une politique visant à s’affranchir de Washington et à favoriser l’intégration latino-américaine. Il s’ne prend également aux anciens dirigeants de la dictature argentine de Videla en remettant en cause l’impunité dont certains bénéficiaient. C’est l’ouverture d’une période de coups fourrés (où il est difficile de démêler le vrai du faux dans les accusations lancés entre les uns et les autres par voie de presse) à l’intérieur de l’État argentin entre différents clans politiques.
L'enquête de l’attentat de 1994, qui a souffert de nombreuses irrégularités et a conduit à l'inculpation de plusieurs policiers argentins, demeure extrêmement obscure. L'une des pistes de l'enquête, très controversée, accuse le Hezbollah et l'Iran d'avoir organisé l'attentat ; une autre, dite « piste syrienne », pointe vers Alberto Jacinto Kanoore Edul, un proche de Menem, et allègue des possibles tractations électorales entre Menem et la Syrie de Hafez el-Assad, ainsi que d'autres proches de Menem tel le trafiquant d'armes Monser Al Kassar. Cette dernière piste a été enterrée dès le début de l'enquête, mais Menem et son frère ont néanmoins été appelés à témoigner, en 2008, pour cette raison.
À ce jour, les responsables de l'attentat n'ont pas été identifiés avec certitude, et Carlos Menem, ainsi que le premier juge chargé de l'affaire, Juan José Galeano, et d'autres, ont été inculpés pour entrave à la justice et pour avoir empêché les enquêtes concernant la piste syrienne. Le 25 octobre 2006, le procureur Nisman a officiellement accusé le gouvernement iranien et le mouvement libanais Hezbollah d'être responsables de l'attentat.
En 2013, Carlos Vladimir Corach, ministre de l’intérieur de Carlos Menem en 1994 avec la bi-nationalité argentine et israélienne est accusé d’avoir payé 400 000 dollars un homme, Carlos Telleldin, pour fournir la bombe.
Là, pour un œil extérieur, chercher des infos devient une galère puisqu’on a droit à une vraie guerre de l’information. Les mouvements anti-israéliens se basent sur cette inculpation pour accuser Israël d’avoir organisé ces attentats pour accuser l’Iran et le Hezbollah. Israël crie à la manipulation.
On en est au point où la fiche wikipedia de Carlos Vladimir Corach en espagnol ne fait pas du tout mention de cette inculpation et la fiche wikipedia en français ne parle de rien d’autre (les deux pages ne se référencent même pas entre elles comme s’il s’agissait de deux personnes différentes). J’ai finalement trouvé un court article sur cette inculpation dans le Times of Israël, journal qui ne peut pas être soupçonné d’être anti israélien.
http://www.timesofisrael.com/jewish-ex- ... n-bombing/
Fin 2014, le procureur Alberto Nisman, chargé de l’enquête et partisan de la thèse menant à l’Iran et au Hezbollah accuse la présidente Christina Kirchner (qui a succédé à son mari en 2007) d’avoir détourné l’enquête de la piste iranienne en échange d’un contrat d’achat de pétrole et de gaz iranien à un tarif préférentiel. Il devait présenter ses conclusions devant le parlement argentin en janvier 2015.
Dans le même temps, Christina Kirchner fait un grand ménage dans les services secrets argentins en virant les agents et responsables proche de la droite dure argentine. Elle est également engagée dans une guerre contre les fonds spéculatifs qui possèdent la dette argentine, accuse le gouvernement Obama d’être de leur côté et, dans une allocation télévisée, elle accuse Washington de préparer un coup d’État contre elle, voire de vouloir l’assassiner :
http://www.theguardian.com/world/2014/o ... ms-us-plot
Il y a une dizaine de jour, le 18 janvier, Alberto Nisman est retrouvé suicidé chez lui d’une balle dans la tête, 4 jours avant la date où il devait se présenter devant le Congrès argentin.
Trois thèses s’affrontent :
- Celle du suicide (c’est la conclusion de l’enquête et des études médico-légales et du gouvernement argentin, au moins dans un premier temps),
- Celle de l’opposition de droite et de la communauté juive argentine qui accusent un crime d’État, accusant Christina Kirchner d’avoir fait assassiner un opposant ;
- Celle de Christina Kirchner qui accuse ses adversaires au sein de l’appareil d’État et des services de renseignement d’avoir d’abord instrumentalisé Nisman contre elle puis de l’avoir assassiné pour créer une vive tension dans le pays et organiser un coup d’État.
Dans la foulée, Kirchner dissout purement et simplement les actuels services secrets argentins en vue de réorganiser un service totalement nouveau.
http://www.lemonde.fr/ameriques/article ... _3222.html
Les manifestations se multiplient.
Le journaliste argentin qui a révélé la mort de Nisman fuit en Israël en se disant victime de harcèlement des services restés fidèles à Kirchner.
http://www.haaretz.com/news/world/.premium-1.638933
Dans le même temps, certains, y compris en Israël, croient que l’Iran et le Hezbollah sont effectivement derrière les attentats de 1994 mais pensent que l’affaire est instrumentalisée par une partie des services secrets argentins pour préparer un coup d’État d’extrême-droite. Ici, un journaliste d’Ha’aretz met en garde les juifs argentins de ne pas se faire manipuler par l’extrême-droite argentine :
http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.639110
Alors que la situation est chaotique en Argentine (et qu'Israël est en campagne électorale pour des élections législatives le 17 mars), une autre histoire ressort (en lien ? sans lien ?), la question des responsabilités derrière l’assassinat en 2008 à Damas dans un attentat à la voiture piégée d’Imad Mughniyeh, le chef de la branche militaire du Hezbollah qu’Israël accusait d’être l’organisateur de l’attentat de 1994 à Buenos Aires.
Peu de temps après cet assassinat, Mike McConnel directeur du renseignement US avait accusé une faction du Hezbollah et le régime syrien de cet assassinat
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jso ... niyah.html
Mais, depuis quelques jours, des articles dans :
- la presse israélienne
http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/1.639952
- et US
http://www.washingtonpost.com/world/nat ... story.html
assurent que cet assassinat est une opération conjointe entre la CIA et le Mossad.
Cette info sort alors que l'opération a été réalisée sous le mandat de Bush et que Netanyahou a été récemment invité au Congrès par la majorité républicaine US sans l'accord d'Obama qui a refusé de le recevoir (de là à penser que cette info a été fuitée à la presse par les Démocrates...).
C'est assez chaotique, c'est difficile de voir si tous les éléments sont liés, c'est quasiment impossible de s'y retrouver entre les versions contradictoires si on n'est pas à la fois un bon connaisseur de la politique argentine et des relations internationales au Proche-Orient...
... Mais ça donne de quoi faire un gros scénario, voire une campagne d’espionnage, un truc pareil, non ?
Et en plus, je n'ai strictement rien à vous vendre.